Abidjan, le 13 mai 2024 (Géomètre)-A l’occasion de sa présentation, lors du Salon international de l’Agriculture de Paris (SIA 2024), de la Stratégie nationale et du Programme national de sécurité foncière rurale 2023-2033, le Magazine ‘’Géomètre’’ a fait le point avec Nahouo Amadou Coulibaly, Directeur de la communication, de l’information, de la formation et de la sensibilisation de l’Agence Foncière Rurale (AFOR).
𝐋𝐞 𝐟𝐨𝐧𝐜𝐢𝐞𝐫 𝐫𝐮𝐫𝐚𝐥 𝐫𝐞𝐩𝐫é𝐬𝐞𝐧𝐭𝐞 𝐞𝐧𝐯𝐢𝐫𝐨𝐧 𝟐𝟑 𝐦𝐢𝐥𝐥𝐢𝐨𝐧𝐬 𝐝’𝐡𝐞𝐜𝐭𝐚𝐫𝐞𝐬, 𝐬𝐨𝐢𝐭 𝐩𝐫𝐞𝐬𝐪𝐮𝐞 𝟕𝟎% 𝐝𝐮 𝐭𝐞𝐫𝐫𝐢𝐭𝐨𝐢𝐫𝐞 𝐝𝐞 𝐥𝐚 𝐂ô𝐭𝐞 𝐝’𝐈𝐯𝐨𝐢𝐫𝐞. 𝐐𝐮𝐞𝐥𝐥𝐞𝐬 𝐞𝐧 𝐬𝐨𝐧𝐭 𝐥𝐞𝐬 𝐩𝐫𝐨𝐛𝐥é𝐦𝐚𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞𝐬 𝐬𝐩é𝐜𝐢𝐟𝐢𝐪𝐮𝐞𝐬 ?
NAHOUO AMADOU COULIBALY : La première problématique est à la fois d’ordre technique et géographique : quelles sont les limites du domaine foncier rural ? Relève du domaine foncier rural l’ensemble des terres qui ne sont ni urbaines, ni touristiques, ni zones d’utilité publique, ni forêts classées ou aires protégées. Cette question des limites prend davantage d’ampleur quand on tient compte du caractère évolutif des différents domaines.
En effet, le domaine urbain est en évolution constante ; il en est de même des autres domaines dont les limites sont sans cesse mouvantes.
Dans ces conditions, le rôle de l’Etat est de préciser de manière dynamique les limites respectives de chacun des domaines. La seconde problématique est la conséquence de la première : une fois les limites du domaine foncier rural connues, qui y exerce les droits ? La question touche à la sécurité juridique dans les rapports des détenteurs de droits avec l’Etat ou entre eux et au sein de l’Etat : quels sont les détenteurs de droits sur le domaine foncier rural ? l’Etat ? Les collectivités territoriales ? Les particuliers ?
La réponse demande de détacher le domaine foncier rural appartenant à l’Etat de celui dit « coutumier », qui relève des autres détenteurs de droits (collectivités, personnes physiques et morales).
Une fois cette opération effectuée, une difficulté surgit : s’agissant du domaine foncier rural dit coutumier, quels en sont les détenteurs de droits ? Les personnes physiques et, si oui, les autochtones ? Les hommes exclusivement ? Les femmes ? Les personnes morales ?
Questions lourdes de tensions certes, mais questions utiles dont la résolution intelligente permet de garantir la paix et la cohésion sociale. En effet, la croissance démographique et les phénomènes migratoires tant internes qu’externes ont intensifié la pression foncière en milieu rural, ce qui a accru la compétition pour le contrôle des terres, socle du développement de la Côte d’Ivoire, essentiellement basé sur l’agriculture.
Cette compétition pour les terres a augmenté les risques de conflits fonciers au sein des communautés, entre les communautés, entre les familles et même au sein des familles, faisant ainsi peser une réelle menace sur la paix et la cohésion sociale dans les villages et le pays. Cette situation est exacerbée par les transactions sur les terres rurales s’effectuant hors de tout cadre légal et réglementaire.
En outre, dans certaines régions, en raison des survivances traditionnelles, l’appropriation individuelle de la terre est difficilement admise. Lorsque cela est admis, c’est en général au profit des hommes et des aînés, excluant de fait les femmes et les jeunes de l’exercice de droits fonciers autonomes.
𝐒’𝐚𝐠𝐢𝐭-𝐢𝐥 𝐥à 𝐝𝐞𝐬 𝐬𝐞𝐮𝐥𝐞𝐬 𝐝𝐢𝐟𝐟𝐢𝐜𝐮𝐥𝐭é𝐬 𝐚𝐮𝐱𝐪𝐮𝐞𝐥𝐥𝐞𝐬 𝐯𝐨𝐮𝐬 𝐝𝐞𝐯𝐞𝐳 𝐟𝐚𝐢𝐫𝐞 𝐟𝐚𝐜𝐞 ?
N.A.C. : J’en vois deux autres. Une problématique d’ordre opérationnel : quelles techniques mettre en œuvre pour réaliser le départ entre les différents domaines ? Et, à l’intérieur du domaine foncier rural, entre les différents ayants-droits ? Question de méthodologie, question d’approche qui se posent en termes de procédures à concevoir, de délais de réalisation, de coûts et de sources de financement.
A l’épreuve des faits, en dehors des zones où l’Etat met en œuvre des opérations de sécurisation foncière, les populations rurales détenant des droits fonciers coutumiers s’intéressent très peu à la procédure d’enregistrement de leurs droits (1).
Cette situation s’explique par la méconnaissance des textes régissant le domaine foncier rural mais, surtout, par les délais et coûts de réalisation d’une opération qui, quand elle est faite à la demande (de façon isolée), est à la charge du ou des intéressés. Il y a enfin une quatrième problématique, qui est d’ordre économique : comment valoriser le domaine foncier rural ? Quelles activités y conduire ? De façon plus précise, comment exploiter de manière durable le domaine foncier rural dans l’intérêt bien compris des générations actuelles et futures ?
C’est là tout l’intérêt qu’il y a à encadrer la valorisation du domaine foncier rural en tenant compte des exigences de la lutte contre le changement climatique, des groupes vulnérables et plus largement des objectifs du millénaire pour le développement et des impératifs du développement de la Côte d’Ivoire. Globalement, le foncier rural constitue une question existentielle pour la Côte d’Ivoire.
𝐋’𝐀𝐠𝐞𝐧𝐜𝐞 𝐟𝐨𝐧𝐜𝐢è𝐫𝐞 𝐫𝐮𝐫𝐚𝐥𝐞 (𝐀𝐅𝐎𝐑) 𝐚 é𝐭é 𝐜𝐫éé𝐞 𝐩𝐚𝐫 𝐝é𝐜𝐫𝐞𝐭 𝐝𝐮 𝟑 𝐚𝐨û𝐭 𝟐𝟎𝟏𝟔, 𝐝𝐚𝐧𝐬 𝐥𝐞 𝐛𝐮𝐭 𝐝’𝐚𝐜𝐜é𝐥é𝐫𝐞𝐫 𝐥𝐞 𝐩𝐫𝐨𝐜𝐞𝐬𝐬𝐮𝐬 𝐝𝐞 𝐬é𝐜𝐮𝐫𝐢𝐬𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐮 𝐟𝐨𝐧𝐜𝐢𝐞𝐫 𝐫𝐮𝐫𝐚𝐥. 𝐏𝐨𝐮𝐯𝐞𝐳-𝐯𝐨𝐮𝐬 𝐧𝐨𝐮𝐬 𝐩𝐫é𝐜𝐢𝐬𝐞𝐫 𝐬𝐨𝐧 𝐟𝐨𝐧𝐜𝐭𝐢𝐨𝐧𝐧𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐞𝐭 𝐬𝐞𝐬 𝐦𝐢𝐬𝐬𝐢𝐨𝐧𝐬 ?
N.A.C. : L’AFOR a été créée sous la forme d’une agence d’exécution. C’est un établissement national public. Cependant, à la différence des autres EPN, l’AFOR a une autonomie administrative et financière renforcée, de sorte à disposer de la flexibilité nécessaire à l’exercice de ses missions. Elle fonctionne à travers deux grands organes : le conseil de surveillance et la direction générale.
Le directeur général représente l’AFOR dans tous les actes de la vie civile et est investi des pouvoirs nécessaires à la bonne marche de l’agence et à l’exécution des décisions du conseil de surveillance. La mission de l’AFOR se résume ainsi : accélérer et massifier les opérations de sécurisation du foncier rural, ces opérations devant être réalisées, selon les nouvelles orientations du gouvernement, dans un délai de dix ans sur la période 2023-2033. L’AFOR est le maître d’œuvre de la politique foncière rurale (2).
𝐇𝐮𝐢𝐭 𝐚𝐧𝐬 𝐚𝐩𝐫è𝐬 𝐬𝐚 𝐜𝐫é𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧, 𝐪𝐮𝐞𝐥𝐥𝐞𝐬 𝐬𝐨𝐧𝐭 𝐥𝐞𝐬 𝐫é𝐚𝐥𝐢𝐬𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐬 𝐥𝐞𝐬 𝐩𝐥𝐮𝐬 𝐢𝐦𝐩𝐨𝐫𝐭𝐚𝐧𝐭𝐞𝐬 à 𝐦𝐞𝐭𝐭𝐫𝐞 à 𝐥’𝐚𝐜𝐭𝐢𝐟 𝐝𝐞 𝐥’𝐀𝐅𝐎𝐑 ?
N.A.C. : Au 31 mars 2024, grâce aux efforts de l’AFOR en vue d’accélérer et massifier les opérations de sécurisation foncière rurale, 5327 villages ont été délimités et bornés, sur un total de 8576 villages officiels ; 23028 certificats fonciers (CF) ont été délivrés dans le cadre du projet d’amélioration et de mise en œuvre de la politique foncière rurale (PAMOFOR) auxquels s’ajoutent 8902 CF hors PAMOFOR, soit un total de 31930 CF; 17583 contrats agraires formalisés dans le cadre du PAMOFOR.
Avec la mise en place de l’AFOR, les résultats de la délimitation des territoires des villages ont été multipliés par quatre, ceux de la délivrance des certificats fonciers par trois. L’agence a également favorisé le renforcement de la gouvernance du domaine foncier rural. Ce renforcement s’est traduit par l’évolution du cadre juridique de la sécurisation foncière à travers la modification de certaines dispositions de la loi n°98-750 et l’adoption de ses décrets d’application afin de simplifier les procédures en vue de la délivrance massive de CF et de contrats fonciers.
𝐋𝐨𝐫𝐬 𝐝𝐞 𝐥𝐚 𝐜𝐨𝐧𝐟é𝐫𝐞𝐧𝐜𝐞 𝐪𝐮𝐞 𝐯𝐨𝐮𝐬 𝐚𝐯𝐞𝐳 𝐝𝐨𝐧𝐧é𝐞 𝐥𝐞 𝟐𝟕 𝐟é𝐯𝐫𝐢𝐞𝐫 𝐬𝐮𝐫 𝐥𝐞 𝐬𝐭𝐚𝐧𝐝 𝐝𝐞 𝐥𝐚 𝐂ô𝐭𝐞 𝐝’𝐈𝐯𝐨𝐢𝐫𝐞 à 𝐥’𝐨𝐜𝐜𝐚𝐬𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐮 𝐒𝐚𝐥𝐨𝐧 𝐝𝐞 𝐥’𝐚𝐠𝐫𝐢𝐜𝐮𝐥𝐭𝐮𝐫𝐞, 𝐯𝐨𝐮𝐬 𝐚𝐯𝐞𝐳 𝐞𝐱𝐩𝐨𝐬é 𝐥𝐞𝐬 𝐚𝐦𝐛𝐢𝐭𝐢𝐨𝐧𝐬 𝐝𝐮 𝐩𝐫𝐨𝐠𝐫𝐚𝐦𝐦𝐞 𝐧𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐚𝐥 𝐝𝐞 𝐬é𝐜𝐮𝐫𝐢𝐭é 𝐟𝐨𝐧𝐜𝐢è𝐫𝐞 𝐫𝐮𝐫𝐚𝐥𝐞 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐥𝐚 𝐩é𝐫𝐢𝐨𝐝𝐞 𝟐𝟎𝟐𝟑-𝟐𝟎𝟑𝟑. 𝐏𝐨𝐮𝐯𝐞𝐳-𝐯𝐨𝐮𝐬 𝐧𝐨𝐮𝐬 𝐥𝐞𝐬 𝐫é𝐬𝐮𝐦𝐞𝐫 ?
N.A.C. : La Côte d’Ivoire s’est dotée d’une Stratégie Nationale de Sécurisation Foncière Rurale (SNSFR) et d’un Programme National de Sécurisation Foncière Rurale (PNSFR) adoptés en conseil des ministres le 15 juin 2023. La SNSFR a pour objet de définir le cheminement qui permettra de réaliser les objectifs de la politique foncière rurale. Elle fixe un cap, une durée et une cadence : accélérer et massifier les processus pour sécuriser tous les droits exercés sur les 23 millions d’hectares de terres du domaine foncier rural sur une période de dix ans (2023- 2033).
Pour la mise en œuvre du PNSFR, deux importants programmes sont en cours de mise en vigueur. D’abord le Programme de Renforcement de la Sécurisation Foncière Rurale (PRESFOR) qui sera mis en œuvre de 2024 à 2029, grâce à un prêt de la Banque mondiale.
Ce programme concerne 16 régions du pays (3) qui couvrent 52 départements, 218 sous-préfectures, 3322 villages. Il permettra de délivrer 500000 CF sur une superficie de 5000000ha et de faire signer 500000 contrats fonciers entre les acteurs du foncier. Le PRESFOR est le plus gros projet foncier jamais réalisé en Afrique sur financement de la Banque mondiale et démarrera ses activités au dernier trimestre 2024 pour une durée de cinq ans.
Des opérateurs fonciers seront recrutés par appel d’offres pour la mise en œuvre du PRESFOR. 14 lots sont prévus dans le cadre de ces marchés. Un appel est lancé aux grands groupes internationaux qui sont invités à nouer des partenariats avec des entreprises foncières locales.
Deuxième programme : le Financement Budgétaire – Programme Foncier (FB-PR Foncier) mis en œuvre, avec l’appui de l’Agence française de développement (AFD), de 2025 à 2029, dans 4 régions (4) et 5 départements (5). 21 Sous-préfectures sont concernées, 517 villages. 40000 CF seront délivrés sur 500000ha et 40000 contrats fonciers signés.
Des opérateurs fonciers seront recrutés par appel d’offres pour la mise en œuvre de ce projet. 2 lots sont prévus dans le cadre de ce marché. Pour l’ensemble de ces programmes, les certificats fonciers seront délivrés gratuitement aux demandeurs exerçant des droits coutumiers sur les terres rurales
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