Sous les sables mouvants du Sahel, la diplomatie américaine avance à pas mesurés, entre gestes d’ouverture et portes refermées.
Alors que ses émissaires se succèdent de Bamako à Niamey, en passant par Ouagadougou, pour renouer le dialogue avec les régimes militaires de la région, Washington semble osciller entre deux rythmes : celui du rapprochement stratégique et celui de la méfiance administrative.
Les États-Unis reviennent au Sahel, mais avec prudence
Depuis plusieurs mois, l’Amérique redécouvre le Sahel avec le regard d’un partenaire prudent.
Ses envoyés spéciaux multiplient les déplacements, vantant une « coopération rénovée » et une « approche respectueuse de la souveraineté », selon les termes de Will Stevens, sous-secrétaire d’État pour l’Afrique de l’Ouest.
Du 8 au 10 juillet dernier, Rudolph Atallah, haut responsable de la Maison Blanche chargé de la lutte antiterroriste, s’est rendu à Bamako pour évoquer l’intégration de la Confédération des États du Sahel (AES) dans la stratégie régionale américaine de sécurité.
Quelques semaines plus tôt, le Premier ministre nigérien Ali Mahamane Lamine Zeine avait été reçu à Washington afin d’explorer les pistes d’une relance bilatérale, après la dénonciation des accords de défense en 2024.
Ces gestes, empreints de diplomatie, esquissent le contour d’un retour américain dans une région devenue un terrain de recomposition géopolitique.
Des barrières consulaires qui brouillent le message
Mais à cette main tendue répond une autre, plus ferme.
Derrière les discours d’alliance, Washington dresse des obstacles administratifs qui interrogent.
À partir du 23 octobre 2025, les demandeurs maliens de visas touristiques ou d’affaires devront déposer une caution remboursable de 15 000 dollars, s’ajoutant aux 185 dollars de frais classiques et à un “Visa Integrity Fee” de 250 dollars.
Une mesure jugée dissuasive, voire vexatoire, par nombre d’observateurs régionaux.
Au Burkina Faso, l’ambassade américaine a suspendu la délivrance de la quasi-totalité des visas, contraignant les demandeurs à se rendre à Lomé. Seuls les dossiers diplomatiques sont encore traités sur place.
La réaction de Ouagadougou fut immédiate : application de la réciprocité et rejet d’une proposition américaine de rapatriement de migrants.
« Le Burkina restera une terre de dignité, et non une terre de déportation », a martelé le ministre des Affaires étrangères, Jean Marie Traoré.
Quant au Niger, les États-Unis y ont déjà gelé, depuis juillet, les services consulaires, invoquant des « préoccupations persistantes » avec le gouvernement de Niamey.
En retour, les autorités nigériennes ont suspendu la délivrance de visas aux citoyens américains, redirigeant leurs demandes vers d’autres missions diplomatiques.
L’Amérique, entre discours et dissonance
Cette politique à double vitesse – entre promesse de coopération et fermeture administrative – dévoile une diplomatie aux contours incertains.
Là où Washington parle de partenariat, les États sahéliens perçoivent parfois un contrôle.
Là où les mots évoquent la souveraineté, les actes rappellent la tutelle.
Le contraste est d’autant plus frappant que le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont tourné le dos à la France et se sont retirés de la CEDEAO, resserrant leurs liens avec Moscou, désormais pourvoyeur d’appui logistique et d’instructeurs militaires.
Dans ce nouvel échiquier, la voix américaine cherche à se faire entendre, mais résonne parfois comme un écho lointain.
Une influence en quête d’équilibre
À l’heure où la diplomatie occidentale recule dans plusieurs capitales africaines, les États-Unis s’efforcent de maintenir leur empreinte sans raviver les ombres du paternalisme.
Leur approche du Sahel oscille entre séduction politique et sécurisation migratoire, révélant une tension permanente entre stratégie et perception.
Sous le soleil du Sahel, l’Amérique tend la main, mais garde le poing fermé.
— Par M.Mohamed Koné
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