(Agence Ecofin) – L’Agence Ecofin revient sur cinq tendances majeures qui ont marqué le marché des titres publics par adjudication, organisé par UMOA-Titres en 2024.
En dépit des turbulences économiques mondiales, alimentées par des tensions géopolitiques et des pressions inflationnistes, le marché des titres publics par adjudication de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) a confirmé en 2024 son rôle central dans le financement des économies de la sous-région. 8127 milliards FCFA (12,97 milliards $) y ont été mobilisés en 2024, en progression de 13% par rapport à l’année précédente. Ce montant dépasse de 972 milliards FCFA le déficit budgétaire prévisionnel des Etats membres, selon les calculs de l’Agence Ecofin. Il représentait plus du quart des dépenses budgétaires engagées durant l’année.
A l’occasion des Rencontres du marché des titres publics (REMTP) 2025, organisées à Abidjan, en Côte d’Ivoire, les acteurs du secteur se sont réunis pour analyser les dynamiques de l’année écoulée. Entre succès et défis, l’Agence Ecofin vous présente cinq tendances qui se dessinent et éclairent sur les enjeux de ce marché stratégique.
Niger, Burkina Faso, Côte d’Ivoire… entre baisse et hausse record des levées
En 2024, les Etats membres de l’UEMOA ont intensifié leur recours au marché des titres publics pour financer leurs économies. Parmi eux, la Côte d’Ivoire s’impose une nouvelle fois comme le principal émetteur avec 3543 milliards FCFA, soit 43,6% des volumes totaux mobilisés. Le Sénégal et le Niger complètent le podium, représentant respectivement 12,3% et 10,6% des émissions globales.
Cependant, tous les pays ne connaissent pas la même trajectoire. Si le Niger affiche une progression notable de +65,4%, en raison de forts besoins de financement, d’autres, comme le Mali (-3,39%) et le Togo (-7,35%), ont ralenti leurs levées sur le marché. La baisse est encore plus prononcée en Côte d’Ivoire (-22,3%) et au Bénin (-19,21%).
Cette disparité s’explique en partie par une meilleure diversification des sources de financement pour certains Etats et une gestion prudente de la dette publique. La Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Bénin ont tous recouru au marché des eurobonds l’année dernière, marquant leur grand retour, après deux années d’absence.
Un cas à part reste la Guinée-Bissau qui, bien que représentant une faible part du total des émissions (2,97%), a enregistré une augmentation impressionnante de +70,1% ; une performance, signe de l’amélioration progressive de son accès aux marchés régionaux.
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2. Un recentrage sur le court terme pour répondre aux tensions économiques
En 2024, le marché des titres publics de l’UEMOA a poursuivi son recentrage vers des instruments de court terme, avec une prédominance des bons assimilables du Trésor (BAT). Ces derniers ont représenté 62% des volumes mobilisés, contre 50% en 2023. Cette progression, soit une hausse de 40%, reflète des ajustements stratégiques face à un environnement économique complexe, marqué par une hausse des taux et des besoins immédiats en liquidités.
Les obligations assimilables du Trésor (OAT), instruments de moyen et long termes, voient leur part diminuer. Selon Désiré Bossou, responsable des opérations et de la promotion des titres publics, intervenant aux REMTP, « le marché s’est recentré sur des maturités courtes. Ce recentrage est logique dans un contexte de hausse des rendements ».
Ce choix tactique, bien que compréhensible, pose un défi structurel. La dépendance accrue aux financements à court terme pourrait accroître les risques de refinancement pour certains Etats, en particulier dans un contexte de liquidité limitée sur le marché régional.
Des rendements sous pression, mais des signes de stabilisation
L’année 2024 a été marquée par une hausse généralisée des rendements sur le marché des titres publics de l’UEMOA, reflet des tensions économiques et des politiques monétaires plus restrictives. Les titres à court terme, notamment à 12 mois, ont vu leurs rendements atteindre 10,85% pour certains pays, traduisant une prime de risque élevée pour les émetteurs. Cette flambée des coûts, attribuée aux pressions inflationnistes et à la normalisation monétaire, n’a pas épargné les économies les plus vulnérables de l’Union, a noté le présentateur.
Cependant, les taux moyens des émissions de titres publics de l’UEMOA révèlent de fortes disparités. La Côte d’Ivoire et le Bénin s’en tirent avec des taux relativement bas, à 6,97% et 7,14%, tandis que le Burkina Faso et le Mali doivent composer avec des rendements élevés, respectivement à 9,12% et 9,42%. Le Niger, avec un taux de 9,82%, connaît la plus forte hausse, reflet des incertitudes sécuritaires et géopolitiques. A l’opposé, le Sénégal (7,55%) et le Togo (7,62%) maintiennent des coûts modérés.
Malgré ces écarts, une relative stabilisation a été observée à partir du troisième trimestre. Les maturités longues, comme celles à 7 ans (7,27%) et 10 ans (6,99%), ont montré des rendements plus stables.
Pour autant, le marché reste marqué par des disparités dans les rendements des différents pays. Une situation qui, selon les experts présents aux REMTP, pourrait être corrigée par la mise en place d’une plateforme régionale pour harmoniser les courbes de taux. Comme l’a souligné Oulimata Ndiaye Diassé, directrice de l’Agence UMOA-Titres, « une courbe des taux harmonisée offrirait une meilleure lisibilité pour les investisseurs et renforcerait l’attractivité du marché ».
Pour inverser cette hétérogénéité qui persiste dans le pricing des titres, Désiré Bossou a notamment indiqué que la plateforme de cotation en cours pourrait permettre d’harmoniser les courbes de taux, et ainsi rendre le marché plus transparent et attractif pour les investisseurs. « Une plateforme dédiée permettrait d’avoir une courbe des taux lisible et de réduire les écarts de spreads parfois erratiques entre les différents Etats », a-t-il déclaré.
Un marché de plus en plus régional
Le marché des titres publics de l’UEMOA confirme son caractère régional, selon les données présentées lors des REMTP 2024. « Aucun Etat de l’Union ne peut financer l’intégralité de ses émissions avec ses seuls investisseurs locaux », a déclaré le responsable de la promotion du marché des titres chez UMOA-Titres, insistant sur l’importance de la coopération régionale pour garantir la résilience du marché.
En 2024, dans des pays comme le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali et le Sénégal, les investisseurs locaux dominent largement le marché. Au Bénin, 79,81% des montants levés proviennent de résidents, bien qu’en légère baisse par rapport à 2023 (82,01%). Une dynamique similaire est observée au Burkina Faso où les résidents couvrent environ 20,81% des émissions, mais restent minoritaires face aux non-résidents.
La prédominance de la participation locale est particulièrement marquée au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Ces pays utilisent massivement leurs banques pour acheter leurs titres sur le marché. Au Mali, les résidents couvrent 64,45% des émissions.
A l’inverse, certains pays montrent une dynamique différente caractérisée par une forte dépendance aux investisseurs non-résidents. En Guinée-Bissau, 93,55% des émissions sont couvertes par des non-résidents en 2024, un chiffre stable par rapport à 2023. Au Niger, plus de 67% des fonds levés proviennent d’investisseurs non nigériens. Une tendance similaire est observée au Togo où 67,95% des montants mobilisés en 2024 proviennent de non-résidents.
Cette interdépendance régionale, pourtant essentielle au bon fonctionnement du marché des titres publics de l’UEMOA, révèle aussi des fragilités structurelles que l’Agence UMOA-Titres ne peut ignorer. « Il est essentiel d’harmoniser les pratiques fiscales et réglementaires pour renforcer l’attractivité et la profondeur du marché », a déclaré Oulimata Ndiaye Diassé, directrice de l’Agence, pointant notamment la disparité de la taxation sur les revenus des produits financiers. Une réalité qui freine l’intégration régionale et complique l’accès à un marché déjà fragmenté.
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Selon le « Guide sur la fiscalité applicable aux titres publics émis sur le marché régional de l’UEMOA », les revenus issus des bons et obligations du Trésor sont soumis à des régimes fiscaux qui varient en fonction du pays de résidence de l’investisseur et de l’Etat émetteur du titre. Certes, dans la plupart des cas, les intérêts générés par ces titres sont exonérés d’impôts dans le pays émetteur. Mais ces revenus peuvent être taxés dans le pays de résidence de l’investisseur, en fonction des législations nationales et des accords bilatéraux en vigueur.
Des exemples concrets illustrent cette hétérogénéité : certains Etats appliquent une retenue à la source sur les intérêts versés aux non-résidents, là où d’autres choisissent de ne pas imposer ces revenus. Ce manque d’uniformité réduit la lisibilité pour les investisseurs internationaux et limite l’attractivité du marché régional.
Les défis structurels à relever
L’année 2024 a, une fois encore, prouvé la résilience du marché des titres publics de l’UEMOA. Mais derrière cette performance, comme l’a rappelé Oulimata Ndiaye Diassé dans son discours inaugural, se cachent des défis structurels qu’il faudra impérativement relever pour assurer la pérennité de cet outil central pour les économies de l’Union.
Premier chantier : élargir la base des investisseurs. Si les banques dominent toujours le marché, près de 90% des montants mobilisés, une lueur d’espoir se profile du côté des investisseurs non bancaires. Le fameux « compte client », qui regroupe compagnies d’assurance, caisses de retraite, et investisseurs institutionnels ou individuels, a bondi de 46% en 2024, pour atteindre les 2100 milliards FCFA, contre 1400 milliards l’année précédente. Un progrès notable, certes, mais insuffisant pour réduire la dépendance envers les banques.
Autre talon d’Achille : le marché secondaire. Malgré des progrès timides, avec des échanges atteignant 4400 milliards FCFA en 2024, ce segment reste trop peu liquide. Résultat : les investisseurs hésitent à engager des capitaux sur un marché où la revente des titres reste compliquée. Des réformes seraient en cours pour renforcer la transparence, notamment la création d’une plateforme de cotation.
Et que dire des disparités fiscales entre pays, qui plombent l’intégration régionale et refroidissent les investisseurs étrangers ? Si l’UEMOA veut réellement attirer des capitaux et diversifier ses sources de financement, il faudra aussi innover, en lançant des instruments comme des obligations vertes ou sociales, capables de séduire de nouveaux profils d’investisseurs. Des défis colossaux, mais à la hauteur des ambitions de la région.
Agence ECOFIN