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ENQUÊTE / MENDICITÉ DES ADULTES AVEC LES ENFANTS

Une sorte de travail voilé des tout-petits

Ce mercredi 6 Mars 2019, il était à peine 7 heures du matin, mais le grand carrefour de Koumassi est déjà animé (Ndlr le reportage a été réalisé avant le déguerpissement à la gare routière).

Les vendeurs matinaux de friperies installent leurs affaires. De leurs côtés, les grands magasins commencent à ouvrir leurs portes.

Les tenants des échoppes à ciel ouvert sont également en train de s’installer. La gare de wôrô-wôrô (taxis communaux) est bondée de véhicules.

Il s’agit pour la plupart des taxi-compteurs, de minicars et de quelques véhicules banalisés. Ces voitures émettent des interminables klaxons, même en étant stationnés.

Tout juste à l’entrée de la gare, du côté de la station Total, des vendeuses de papayes, de médicaments traditionnels et de ‘’tra-tra’’ (galettes),sur un même alignement, attendent les premiers clients.

Juste après une vendeuse de ‘’tra-tra’’, une jeune dame avec deux enfants, une fille et un garçon,  est assise sur une natte.Elle tient un parasol pour se protéger du soleil. L’astre est déjà brûlant à cette heure matinale.

Les deux enfants sont habillés d’un même pagne. Devant eux, la dame, qui est en fait une mendiante, a posé deux petites cuvettes en plastique de couleur verte.

A l’intérieur des récipients se trouvent des pièces de 25, 50 et 100 FCFA. Ces jetons sont offerts par des passants.

Son attitude montre bien qu’elle est une habituée du coin. Elle papote tranquillement avec quelques jeunes vendeurs de ceintures.

A la vendeuse de papaye qui lui demande la monnaie de 500 FCFA, elle répond qu’elle n’en a pas pour l’instant.

Cette dame mendie ainsi avec ces enfants. Pourtant, à la regarder de près, la mendiante, dont nous apprenons par la suite qu’elle se prénomme Ténin, n’a pas du tout l’air indigente.

De teint clair avec une taille dépassant la moyenne, elle semble bien portante et donne l’impression de quelqu’un qui prend bien soin de son aspect.

Mais alors, pourquoi mendie-t-elle au bord de la route avec des enfants ?

Pour trouver une réponse à cette question, nous abordons discrètement la jeune dame. Nous nous abaissons à son niveau pour déposer deux pièces de 100 FCFA dans chacune des cuvettes.

Puis, nous en profitons pour lui demander gentiment s’il s’agit de  ses enfants. Elle nous répond par l’affirmative, précisant qu’ils sont jumeaux.

Et nous de nous étonner du fait que pour des jumeaux, ils ne se ressemblent pas vraiment.

Ce sont des faux jumeaux », rétorque-t-elle en souriant.

La témérité des enfants qui se mettent à jouer avec la corde de notre sac est une aubaine que nous saisissons pour poursuivre la conversation.

De la ressemblance des deux enfants, nous glissons le sujet sur la surcharge de travail et les contraintes d’être mère de jumeaux.

Notre interlocutrice est totalement d’avis avec nous. La preuve, poursuit-elle :

J’ai dû abandonner mon commerce pour venir mendier avec les enfants.

En effet, explique-t-elle, à leur naissance, les jumeaux Awa et Lacina,c’est leurs prénoms, étaient continuellement malades. Surtout la fille.

Je suis allée à l’hôpital. J’ai eu recours à la médecine traditionnelle.Mais, rien n’y fit. Elle était pratiquement mourante. C’est ainsi que nous sommes allés consulter un vieux voyant. C’est ce vieux qui m’a conseillé de sortir avec les jumeaux pour mendier en me rassurant que cela allait permettre à la petite de recouvrer la santé.  Il m’a fait savoir que certains enfants jumeaux ont ce genre d’exigence. Le premier jour que nous sommes sortis, je n’avais pas de place. Je me suis donc promenée avec eux. A la fin de la journée, j’ai gagné 3000 FCFA.

Nous confie-t-elle.

Ce serait donc pour la santé de ses enfants que Ténin a abandonné son commerce d’attiéké (semoule de manioc cuit à la vapeur) et de poisson pour s’adonner à la mendicité !

Et cela en compagnie de ses nourrissons. Assez difficile à croire. Mais certaines croyances ne font pas toujours bon ménage avec le bon sens.

D’autant plus que notre interlocutrice explique que le père des jumeaux travaille à la ferraille de Koumassi et qu’elle-même, leur mère, s’en sortait avec son petit commerce.

Le couple menait donc une vie digne. Mais,pour la « survie » d’Awa et Lacina,leurs premiers enfants, il a fallu faire des sacrifices.

Aujourd’hui, les enfants ont presque 4 ans et se portent à merveille selon leur mère. Aussi, envisage-t-elle d’abandonner la mendicité pour retourner à son activité principale, le commerce d’attiéké et de poisson.

Surtout que, ajoute-t-elle, le gérant de la gare ne veut pas la voir sur les lieux.

Approché, ce dernier qui a voulu garder l’anonymat, indique ne pas du tout croire à l’histoire racontée par la mère des jumeaux. Pour lui, il ne fait aucun doute qu’elle profite du fait que ses enfants soient jumeaux pour mendier.

D’ailleurs, je ne pense même pas que ce sont des jumeaux. Vous voyez qu’ils ne se ressemblent pas du tout. Aujourd’hui, beaucoup de femmes profitent de leurs enfants pour mendier. Elles exposent ces enfants à toutes sortes de risques pour de l’argent. Vous voyez où ils sont assis, juste à l’entrée de la gare.Il suffit qu’une voiture dérape et le drame est vite arrivé

Fulmine ce dernier.

Quand les enfants servent d’appât

K. Sanata mendie également avec ses jumeaux d’à peine un an devant la grande mosquée d’Adjamé.

Si Ténin met en avant le problème de santé de ses enfants, Sanata, elle,avoue ne pas avoir les moyens de nourrir deux bouches.

Mieux vaut mendier que voler. Leur papa n’a pas d’activité actuellement. Moi aussi, je n’ai pas de moyens. Pour nourrir les enfants, je suis donc venue négocier une place devant la mosquée.

Relate-elle.

Selon la mendiante, les jours ordinaires, son gain varie entre 2000 et 2500 FCFA.  Mais les vendredis, jour saint de la religion musulmane, elle peut avoir jusqu’à 7000FCFA.

A cela s’ajoutent des dons en vivres et autres. Notamment du savon, du lait et du riz.

La mendicité des mères de jumeaux est un phénomène bien répandu à Abidjan.

On retrouve ces femmes avec leurs bébés un peu partout. C’est un business lucratif  pour certaines personnes.

Namizata en fait partie. 

A son accouchement,cette dame au tempérament bien trempé a carrément vu en ses jumelles une opportunité de se faire de l’argent. Pour cette vendeuse d’arachides grillées en bordure de route, ce n’était pas évident de nourrir deux bouches de plus.

Surtout qu’elle ne pouvait compter sur leur géniteur, un contractuel à la zone industrielle de Koumassi.

Aussi la mère des filles a-t-elle eu l’ingénieuse idée de se promener de concession en concession avec sa progéniture.

Mais pas n’importe comment.

« J’ai voulu faire la différence. Il ne fallait pas que les gens pensent que je profitais de mes jumelles», glisse-t-elle.

Elle va donc se procurer une poussette de deux places. Chaque matin,elle lave ses jumelles, les parfument et les habillent correctement, toujours en uniforme.

« Les gens aiment les bébés jumelles, surtout quant elles sont bien habillées et bien parfumées», révèle-t-elle, l’œil  malicieux.

Les enfants superbement habillés, Namizata les placent dans la poussette et se promène de logis en logis, en disant en malinké « Flani bé à folà ».

Entendez, les jumelles vous saluent. La vue de ces petites, bien habillées, fait fondre le cœur de nombreuses personnes.

D’une résidence à une autre, Namizata ressort avec des pièces d’argent glissées dans les cuvettes posées à l’intérieur de la poussette, à côté de chaque bébé.

«Les jumelles pouvaient gagner jusqu’a 10 000 FCFA par jour. On pouvait même avoir 20 000 FCFA les vendredis », soutient-elle.

Pourtant, si l’argent était gagné par les jumelles, elles n’en étaient pas les principales bénéficiaires.

De DAO MAÏMOUNA

Source: Le Patriote

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