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L’Italie ouvre la voie à la régularisation de milliers de sans-papiers

En ce 1er juin doit débuter, en Italie, une grande opération de régularisation. Après d’âpres discussions, le décret « Rilancio » (« Relance », en français), pris mi-mai entre autres pour soutenir l’économie face à l’épidémie de coronavirus, comporte un article permettant potentiellement à des milliers de clandestins d’obtenir des papiers, au moins temporairement.

Une restriction qui chagrine Yvan Sagnet, président de l’association NoCap, qui lutte contre l’exploitation des ouvriers agricoles et a participé à des tables de travail dans le cadre de réunions préparatoires à l’élaboration de la stratégie nationale de lutte contre le caporalato, l’exploitation des travailleurs dans le secteur agricole.

« Nous voulons, dit-il, une approche basée sur le droit universel des personnes. Donner des papiers non pas en fonction du fait que cette personne me sert, mais parce que c’est un droit ! Cela dit, c’est un petit pas en avant. »

Agriculture et aide à domicile

Alors, pourquoi ces deux secteurs ? Avec la fermeture des frontières en raison de l’épidémie de coronavirus, les agriculteurs ont fait face à une pénurie de main-d’œuvre. Mais l’efficacité de cette mesure de régularisation est discutée. Officiellement, il s’agit aussi de « garantir un niveau adéquat de couverture santé en période de pandémie » et de combattre les « rapports de travail illégaux » entre employés et employeurs, même si le sujet était dans les tiroirs avant la crise du Covid-19.

Quoi qu’il en soit, pour Paolo Naticchioni, professeur à Roma Tre et économiste à l’Institut national de protection sociale (INPS), ce choix répond à des critères essentiellement politiques. « Le secteur agricole est un secteur qui l’a demandé en premier. Et la ministre qui s’est particulièrement impliquée, c’est la ministre de l’Agriculture », explique-t-il. « C’est donc né du secteur et de la sensibilité de la ministre. Cela a ensuite été élargi au secteur de l’aide à domicile. Mais selon des études que nous avons faites, cela posera des problèmes. Les immigrés agiront de manière stratégique, ils essaieront de se faire régulariser dans ces secteurs pour ensuite éventuellement changer de travail. Il aurait peut-être été plus logique d’élargir à d’autres domaines. »

Environ 200 000 régularisations envisagées

Environ 200 000 clandestins pourraient ainsi obtenir des papiers, a estimé le ministère de l’Intérieur de manière très imprécise. Cela dépendra de plusieurs facteurs.

Pourront en bénéficier les personnes arrivées en Italie avant le 8 mars dernier ou des personnes qui ont déjà eu un titre de séjour mais qui est arrivé à expiration depuis fin octobre 2019. Et pour Andrea Zini, vice-président d’Assindatcolf, l’association des employeurs des aides à domicile, certaines preuves seront difficiles à fournir.

« Il faut qu’ils aient des relevés d’empreintes ou des photos, comme ceux effectués auprès des clandestins lors des débarquements sur les côtes, par exemple. Ou alors, il faut que le citoyen extracommunautaire ait fait une déclaration à la préfecture, mais personne ne le fait.

Donc, il n’y a pas de preuve de la date de leur arrivée », assure-t-il. Et d’ajouter : « En général, c’est le cas pour les citoyens des pays de l’Est. La douane qui sanctionne l’arrivée, c’est souvent celle de l’Allemagne ou de la Pologne, et non la douane italienne ».

Convaincre les employeurs

En outre, certains points manqueraient encore de clarté, selon Andrea Zini, qui estime qu’il faudrait laisser au moins jusqu’à fin août pour déposer les dossiers. Ce qui laisserait aussi plus de temps pour sensibiliser la population.

« Tous les immigrés ne savent pas que le gouvernement a approuvé cette loi. Notre association NoCap va faire de son mieux pour sensibiliser le plus d’agriculteurs et le plus de travailleurs possible. Le plus dur sera de trouver un employeur qui puisse régulariser, parce qu’il y a des frais et des taxes à payer. »

Un aspect qui n’inquiète pas Andrea Zini dans le domaine du travail à domicile.

Pour les titres de séjour délivrés aux immigrés qui se présentent spontanément sans contrat, ces immigrés auront six mois pour chercher un travail et espérer obtenir un renouvellement. C’est trop court aux yeux d’Yvan Sagnet. Néanmoins, Paolo Naticchioni estime que ce décret pourrait avoir un effet plus durable. « En analysant les effets des régularisations de 2002 et de 2012, on voit que les personnes régularisées sont restées longtemps sur le marché italien du travail, explique cet économiste de l’INPS. On estime que cinq ans après la régularisation, 75% à 80% d’entre eux étaient encore répertoriés comme travaillant légalement. C’est une proportion très haute. Cela veut donc dire que l’effet est durable. »

En théorie, le décret n’est pas dédié qu’aux sans-papiers. Il doit aussi permettre de faire « émerger » les Italiens ou les étrangers qui ont des titres de séjour mais qui travaillent au noir. Andrea Zini est dubitatif : « Cette législation ne donne aucune raison de changer quoi que ce soit s’ils ont décidé de travailler au noir et que les familles sont d’accord. Il n’y a aucun avantage économique pour les familles, comme des déductions fiscales par exemple, qui incite au moins l’employeur à régulariser la situation. »

Bataille politique

Cette régularisation est donc très encadrée mais il n’a déjà pas été simple de parvenir à ce texte, le premier du genre depuis 2012. Au cours de la bataille interministérielle, la ministre de l’Agriculture, Teresa Bellanova, ancienne représentante syndicale, a même menacé de démissionner pour parvenir à ses fins.

Il y a un an encore, cet article 103 n’aurait sans doute pas pu voir le jour. La Ligue, présente dans le gouvernement de coalition entre juin 2018 et septembre 2019, était « opposée » à une régularisation massive, rappelle Paolo Naticchioni. Cette fois, le Mouvement 5 étoiles ne s’est pas montré favorable dans un premier temps, « mais un point de convergence a été trouvé, probablement avec des accords politiques sur un éventail plus large », suppose Paolo Naticchioni.

RFI

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